La colère est une émotion naturelle qui n’est ni bonne ni mauvaise : elle est très basique et largement présente dans le règne animal.
Pourtant, à notre époque, la colère a mauvaise presse et il vous est sans doute arrivé plus d’une fois de vous en vouloir après vous être mis(e) en colère. Ou de culpabiliser lorsque vous réagissez exagérément, avec un ton agressif, que vous perdez le contrôle, ou que vous avez des mots blessants. Vous avez peut-être cette idée que la maîtrise de soi ou la sagesse devrait faire éviter toute colère.
La colère est une émotion, c’est-à-dire une énergie libérée à l’intérieur du corps pour nous permettre de passer à l’action. Elle a pour but de dire STOP lorsque les limites sont dépassées. Un animal peut se mettre en colère si vous approchez trop près, ou touchez à sa nourriture ou à ses petits. Vous vous mettez en colère lorsque l’autre va trop loin, qu’il touche à vos valeurs ou que vous vous sentez envahi(e). La colère est nécessaire car si vous ne savez pas vous mettre en colère, ou que vous le faites à contre-temps ou face à la mauvaise personne, vous ne pourrez pas vous protéger pour vous sentir en sécurité.
Les « bonnes » et les « mauvaises colères ».
Pour schématiser, je dirais qu’il y a d’abord la « sainte colère » ou la « colère du juste », qui est une colère adéquate et proportionnée à sa cause, et qui permet un recadrage ferme, bref et efficace. Curieusement, ce genre de colère ne laisse ensuite aucune trace de rancoeur chez aucun des protagonistes. Après votre colère vous vous sentez soulagé(e), à votre place, centré(e) et vous avez le sentiment que c’était juste. Et l’autre, en face, bizarrement ne réagit quasiment pas (on dit familièrement : « ça lui en bouche un coin », justement parce que l’action/réaction ou la relation de cause à effet coïncident parfaitement).
Les colères inadéquates, improductives, voire destructrices sont des colères qui se trompent de cible.
Comprenez tout d’abord que nous avons une sorte de « réservoir de colère » qui est alimenté depuis notre enfance, et qui est plein de colères non exprimées dans le passé. Or les émotions sont des énergies : elle ont pour vocation d’être utilisées et transformées en action, pas d’être stockées.
Ensuite il y a toutes les contrariétés de la journée qui s’accumulent, et le soir, vous êtes plus irritable, la tension intérieure vous transformant en un condensateur chargé au maximum. En effet, pendant la journée, vous n’avez pas pu vous mettre en colère contre votre patron, vos collègues, vos clients, les forces de l’ordre, les automobilistes, ou votre voisin. Idem pour votre conjoint lorsqu’il rentre du travail. Et vos enfants, de même, rentrent énervés par les enseignants, les autres élèves, les devoirs etc.
Comprenez-vous alors pourquoi l’image d’Epinal de la famille heureuse de se retrouver le soir vole en éclats ? Les condensateurs chargés ont tendance à se décharger simultanément lorsque vous vous retrouvez tous ensemble après une journée plus ou moins tendue. Et cette décharge a lieu parce que la tension est forte, mais aussi et surtout parce que vous êtes dans un espace de sécurité : s’énerver contre le conjoint ou les enfants ne vous amènera pas à un licenciement, une perte de clients ou un procès verbal ! Donc, inconsciemment, vous sentez que vous pouvez lâcher le trop-plein d’énervement sans grand risque. Vous vous mettez alors en colère contre la ou les mauvaises personnes.
Ensuite, il y a le prétexte et la disproportion. Les couples qui se disputent savent bien que ce qui met le feu au poudre sera futile : trop de jeux vidéos, dentifrice pas refermé ( ou abattant des WC ! ), linge sale qui traîne, clés perdues, rendez-vous oublié, dîner qui nous casse les pieds, etc. Mais derrière, se cachent souvent le sentiment de ne pas être respecté ou entendu, un sentiment d’injustice (« je fais tout dans cette maison! »), un sentiment d’insécurité, de dévalorisation, de manque de reconnaissance, un sentiment d’impuissance (« Je n’y arriverai jamais ») ou de ne pas avoir le temps de tout faire. La liste est longue, et l’autre n’est pas forcément responsable de votre perte de confiance ou de votre impression d’être débordé(e) ou submergé(e). Vous utilisez alors le mauvais prétexte pour exprimer violemment la tension liée à votre état intérieur. La justesse n’est pas au rendez-vous…
Colère homme / femme
Il y a ensuite le cas particulier de la colère entre individus de sexe opposé. Une femme qui se met en colère contre son conjoint ne se rend pas compte que lorsqu’elle ouvre les vannes de sa colère, elle libère souvent toute sa colère contre le masculin : les colère non exprimées contre le père, les frères, les figures d’autorité masculines, les ex, les machos, les tyrans, les « mecs en général ». Et la colère des femmes contre les hommes est immense, ne serait-ce qu’au niveau de l’inconscient collectif. Lorsque vous vous mettez en colère en tant que femme, observez la part de vous qui exprime ses griefs et ses rancoeurs très généralistes contre le masculin…
Et à contrario, si vous êtes un homme, lorsque vous vous mettez en colère contre une femme, n’est-elle pas alimentée aussi par la colère contre l’autorité de la mère, les soeurs, les femmes qui vous ont quitté, les conductrices distraites, les femmes exaspérantes avec leurs histoires et leurs complications, les féministes, celles qui crient au harcèlement dès qu’on s’approche d’elles, ou celles qui vous ont culpabilisé de regarder trop souvent le sport à la télé ou de sortir entre copains ? Pensez-y…
Enfin, il y a un dernier point, qui est extrêmement important : l’autre vous met en colère parce qu’il vous sert de miroir.
Ce qui vous énerve chez lui est le reflet de ce que vous n’aimez pas chez vous. Ceci sera le sujet d’un autre article, car c’est un vaste sujet, mais on en reviendra simplement ici à la parabole de la paille et de la poutre. La petite chose qui nous agace chez l’autre est la manifestation extérieure d’un sujet d’importance à l’intérieur de notre esprit. Une analyse fine de la situation va retourner le « je lui en veux » en « je m’en veux », et vous avez fait le premier pas vers une compréhension de l’origine du problème, car la voix de la mauvaise conscience peut enfin s’exprimer, et vous libère ainsi du pouvoir que vous accordez à l’autre : le pouvoir de vous énerver…
Personne n’a le pouvoir de vous mettre en colère, mais beaucoup ont le don d’appuyer là où ça fait mal et nous réagissons alors au quart de tour. L’étape suivante sera alors d’aller voir ce qui vous trouble intérieurement, vous culpabilise, vous blesse ou vous amène à ne pas vous accepter tel(lle) que vous êtes. Or, seule l’acceptation vous permettra d’avancer sur votre chemin intérieur.
Donc je vous invite, la prochaine fois que vous vous emportez, à voir s’il s’agit d’une saine colère, d’un recadrage nécessaire, ou au contraire de l’expression brouillonne de votre trop-plein de croyances limitantes, de jugements, d’émotions et de conflits intérieurs non résolus.